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Le soulèvement anti-police mené par les Noirs qui vient tout juste de balayer les USA peut être considéré historiquement, comme la plus intense, la plus large et la plus longue vague émeutière, aux USA, depuis les années 1960.

En effet, on n’a pas assisté, aux USA, à une vague d’émeutes de cette ampleur depuis l’assassinat de Martin Luther King en 1968.

Plus d’une centaine de villes ont été le théâtre d’émeutes entre la fin mai et le début juin : en juin, au moins deux cents villes avaient instauré un couvre-feu, portant à cent millions le nombre de personnes susceptibles d’être arrêtées après la tombée de la nuit. Les gouverneurs de trente États ont mobilisé 24 000 membres de la Garde nationale et début juin, 11 000 personnes avaient été arrêtées, un chiffre qui peut paraître relativement faible et indiquer à quel point la police a pu être dépassée au plus fort des émeutes.

 

Une évolution

Après quelques jours de manifestation, un second type de mobilisation se fait jour et tend à remplacer la première, avec parmi eux, de très nombreux militants d’organisations et d’associations citoyennes, de gauche et d’extrême gauche, en particulier celles se réclamant du mouvement « Black Lives Matter ». 

Les actions changent : manifestations de jour, tentatives d’occupation d’espaces publics (à la mode Occupy et Nuit Debout), et la non-violence généralement brandie comme étendard.

Mais il y a eu aussi des « actes iconoclastes », déboulonnages de statues, en commençant par les statues confédérées dans le Sud, avant de s’attaquer à d’autres monuments représentatifs de la suprématie blanche.  ​À San Francisco, par exemple, bien éloignée des hauts lieux de la guerre de Sécession, les parcs et les esplanades sont parsemés de monuments dédiés à la colonisation espagnole et à la colonisation anglaise qui a suivi. Les foules ont mis à bas les statues de Ulysses Grant, de Francis Scott Key et d’autres, qui rappelaient l’histoire de l’esclavage du Sud et la colonisation de l’Ouest.  Quand les statues ont commencé à tomber dans d’autres villes début juin, la ville a pris les devants en abattant le mur de Christophe Colomb à North Beach, haut de 4 mètres, après avoir appris qu’il était la cible d’une manif. Ça n’a pas arrêté la jeunesse iconoclaste qui s’est rendue au Golden Gate Park et a mis à bas la grande statue de Junipero Serra, le prêtre du XVIIIe siècle ayant bâti l’archipel de prisons et de forteresses militaires disséminées tout au long de la côte californienne, où furent torturés et réduits en esclavage des dizaines de captifs indigènes originaires de dizaines de tribus différentes, et qui constitua le canevas architectural pour la plupart des institutions de l’État.

L’ennemi est clairement désigné, le racisme ; et son principal vecteur identifié, la police.  À San Francisco, ces actions remettent l’histoire américaine en lumière. Ils rappelaient aussi la lutte des militants sioux Dakota avec d’autres contre le pipeline Dakota Access et qui visait directement l’infrastructure du capitalisme.

 

La réponse des autorités

Dans les rues, les émeutiers ont été confrontés à la violence exercée non seulement par la police, mais aussi par les miliciens de droite. Dans ses déclarations publiques lors des premiers jours du soulèvement, Trump, au lieu de stigmatiser le racisme, a incité à mots couverts ses partisans à manifester leur soutien à la police.  

Mais, pour la première fois depuis des décennies, les forces de police dans des villes comme Los Angeles, New York et Chicago, véritables armées miniatures, ont manqué de personnel pour contrôler les foules.  En effet, la police a été contrainte à reculer, se regrouper, se concentrer pour défendre des commissariats. Et cela impliquait que la police ne pouvait plus garantir les droits des détenteurs de la propriété privée. Les pillards se sont lentement mis à l’œuvre, sachant que pour un bref moment les villes étaient à eux.  

 

Un rappel

Mais ces émeutes ne tombent pas du ciel, elles ont été précédées par les manifestations violentes « Oscar Grant » de 2009-2010 à Oakland, puis celles de Ferguson, Baltimore et d’autres villes en 2014 et 2015, qu’on désigne parfois sous l’intitulé Black Lives Matter (du nom d’un réseau d’organisations militantes qui s’est constitué à cette époque).  Le slogan « abolir la police » ou l’appel plus courant à couper les fonds de la police ont émergé et constituent la revendication autour de laquelle le mouvement s’oriente et se fédère.

En 2014-2015, l’extension des émeutes à tout le pays, leur diffusion à d’autres villes au-delà des incidents déclencheurs — au Missouri, à New York et Baltimore — se sont produites alors que les tentatives d’obtenir justice ou réparation par des moyens légaux ont échoué.

 

Un autre aspect : le renforcement de la répression et de l’Etat fédéral

Aux États-Unis, la séparation des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les États attribue la responsabilité du maintien de l’ordre aux maires et aux gouverneurs, et non au gouvernement central.  Les forces de police nationales, comme celles qui sont sous l’autorité du département de la Justice et de celui de la Sécurité intérieure, disposent d’une juridiction spéciale. Ils enquêtent sur des crimes spécifiques, surveillent la frontière ou arrêtent les fraudeurs fiscaux.

Pourtant, en réaction aux émeutes, Trump a créé par le truchement des départements de la Justice et de la Sécurité intérieure une nouvelle police fédérale antiémeute pouvant servir à tout, composée en grande partie de patrouilleurs de la police des frontières et de Marshals, qui peuvent si nécessaire être placés sous le commandement direct de la Maison blanche.  En juillet, ces forces spéciales se sont déployées dans les rues de Portland, contre la volonté du maire circulant en minibus de location et enlevant des manifestants, faisant face à des foules toujours plus massives.  Cette escalade causée par les instances fédérales a redonné un second souffle au mouvement à l’échelle nationale, comme au cours de la journée de solidarité avec Portland, le 25 juillet, qui a débouché sur des émeutes : ainsi à Atlanta, un bâtiment du département de la Sécurité intérieure a été attaqué, à Seattle, le chantier d’une prison pour mineurs a été incendié et à Oakland, les participants ont saccagé le bâtiment fédéral et mis le feu au tribunal du comté d’Alameda, le décorant de graffitis.

 

Que penser du slogan « Abolir la police » et « abolir les prisons » ?

 

Par rapports aux slogans « de limiter les financements de la police », une revendication des émeutes de mai et de juin qui s’est faite plus pressante au cours de l’été, Sanders, un leader de « démocrate», a déclaré que la police avait besoin de plus de ressources et non de moins, un brusque revirement de la part de quelqu’un qui, quelques mois plus tôt, était qualifié de « candidat du mouvement social ».  Cette revendication utilise une formule simple, mais qui ne peut être accomplie que par une réorganisation totale de la société.  

Le capitalisme nécessite la police et les prisons pour pouvoir préserver le grand mensonge de la propriété privée — dans le capitalisme, le mieux qu’on puisse obtenir ce sont des flics et des taules sous un autre nom : des bracelets électroniques, des drones et des forces de sécurité privées.

 

 

Face aux émeutes et aux pillages

La question que je pose : en quoi le pillage s’attaque-il à la propriété privée : il permet effectivement le transfert d’un propriétaire, à un autre moins riche au départ.  D’ailleurs, les gangs l’ont compris, et ils ont participé aux pillages.  On peut comprendre la volonté de s’approprier des objets par des personnes qui sont démunies de tout mais, pour autant, ça ne s’inscrit pas dans une dynamique de création de nouveaux rapports sociaux, d’une société nouvelle, dans une action collective et solidaire. Les pillages sont des appropriations individuelles. 

Ceci indique, me semble-t-il les limites de ce mouvement : « la joie de se battre ensemble », comme le théorisait IP, ne s’est pas traduite dans une répartition collective et communautaire.  Peut-être s’agit-il là de perspectives plus concrètes pouvant définir de nouveaux rapports sociaux ?

Les effets de la situation sociale aux USA :

Derrière les émeutes, manifestations contre le racisme aux USA, se pointe une situation sociale qui rappelle des changements économiques profonds : la digitalisation informatique entraîne des remaniements quant au processus de production. 

Le capital peut se permettre de restructurer, les réactions ouvrières sont encore minimes, et entraîner ainsi licenciements et fermeture d’entreprises.  Mais, cette situation exprime un malaise certain.  …Une colère sociale se manifeste de manière latente, et dépasse la lutte contre le racisme, où lui donne une autre dimension.

Ce malaise s’est déjà fait ressentir au travers des mouvements occupy les mouvements des places, des indignés et se place dans un questionnement général, pour tenter de se réapproprier l’espace social et public, des tentatives de produire autrement, de consommer écolo, bien que consommer écolo ne me semble pas être une manifestation de colère des exploités mais plutôt une préoccupation de bobos nantis.  Mais cela pose néanmoins le soucis d’un lendemain différencié.

Comprendre « la crise »

Il ne faut pas oublier l’état de la crise économique actuelle, qui est sans aucun doute la plus grave par sa profondeur et par le nombre de pays qu’elle frappe.  Après avoir démarré en Asie en 1997, la crise a déstabilisé le Japon, puis s’est généralisée à d’autres pays émergents d’Europe (la Russie) et d’Amérique (le Brésil, le Mexique).  Il s’agit d’une crise générale qui ne se réduit pas à un accident financier, mais touche les ressorts profonds de la croissance mondiale.  C’est la mondialisation financière qui est touchée.  Les débâcles se sont succédé à un rythme accéléré : krach boursier de 1987, crises des monnaies européennes puis mexicaine de 1994, crise des pays émergents d’Asie en 1997, crise de la Russie.

Le début du XXIème siècle n’échappe pas à la logique enclenchée.

Les crises précédentes avaient été maîtrisées car les acteurs publics jouaient encore un rôle important. 

Ainsi, la crise de la dette latino-américaine du début des années 1980 concernait la dette souveraine de pays en voie d’industrialisation, et non le secteur privé.  Aujourd’hui, la configuration est totalement différente. 

Les marasmes financiers qui se sont abattus sur les pays d’Asie impliquent essentiellement des acteurs privés.  Elles résultent d’interactions complexes entre une multitude d’acteurs obéissant à une logique micro-économique.  La forte interdépendance des économies nationales engendrée par la mondialisation accroît sa gravité.  On est confronté ainsi à la difficulté, voire l’incapacité où se trouve l’économie de marché mondialisée à s’autoréguler. 

S’impose dès lors, pour le capital, la nécessité de proposer dès maintenant un autre mode de régulation de l’économie mondiale en limitant le pouvoir exorbitant des marchés et en redonnant de l’importance à l’intervention de l’Etat par le biais de la taxation des opérations financières, en tentant de réduire les effets négatifs de l’interdépendance des économies. 

 

 

 

La période actuelle

Avec une épidémie de Covid-19 dont l’ampleur et la mauvaise gestion sidérante sont sans égal sur la planète, avec près d’un cinquième de la population active au chômage, à savoir  plus de 61 millions de demandes de chômage ont été déposées au cours des six derniers mois et quasiment aucune amélioration à l’horizon, avec 40 % des locataires menacés d’expulsion et un conspirationniste adepte du déni en guise de Président, les États-Unis la situation aux USA est exemplaire d’une faillite annoncée du capitalisme.

 

Sur les plus de 22 millions d'emplois perdus depuis la mi-mars, moins de la moitié, environ 10,5 millions sont «devenus» pour de nombreux travailleurs, des horaires et des salaires réduits….

 

De plus la crise, accentuée par les effets de la pandémie du covid, provoque l’atomisation, une rupture des liens sociaux, alors que le contrôle social semble se renforcer au travers des « mesures » administratives contre le covid.  Les interventions d’Etat sont sublimées, comme la crise du Corona nous le rappelle.  On s’apprête effectivement à connaître une inflation monstre.

La peur du chômage jointe à la propagande (les refrains des « changements technologiques » et de la « mondialisation ») sont là pour faire accepter et les emplois précaires et la « responsabilité » des salariés qui ne seraient jamais assez formés, jamais assez adaptables.

D’où la mise en avant progressive du remplacement nécessaire des métiers et des qualifications qu’on déclare vite « obsolètes » par des « compétences » individuelles de base et d’adaptation.

Celle-ci a des répercussions sur l’homme, comme nous le rappelle Igor Caruso[1], qui fournit une explication à cette évolution et montre en effet que "les influences culturelles et sociales sont susceptibles d'augmenter ou de réduire la résistance psychique sans pour autant être les "causes" directes de la névrose".  Il s’agit là d’un effet, parmi d’autres de la postmodernité.

Caruso démontre ensuite que ces éléments sont déterminés eux-mêmes par des forces historiques et économiques, et exercent ensuite leur action, d'ordre psychique, sur la famille.  L'évolution du capitalisme sous la postmodernité imprime donc indubitablement sa marque, renforçant l'aliénation du sujet.  Freud[2] d'ailleurs le rappelle dans « Le malaise dans la culture » : "La plupart des civilisations ou des époques culturelles - même l'humanité entière peut-être - ne sont-elles pas devenues "névrosées" sous l'influence des efforts de la civilisation même ?" Cela entraîne le laisser-faire, le « tout est permis », le « tout est possible ».  La responsabilité devient propre à chaque individu.  Il n’y a plus de référence Tierce.  La famille ne fait plus société.  Elle est devenue un rassemblement basé sur des liens affectivés et interpersonnels. 

 

Perspectives

Ce processus a été favorisé par le développement de la diffusion internet.  Celle-ci ouvre aux affabulations, et permet la diffusion d’une « pensée » hochepot dénuée d’esprit critique rationnel.  Cette « pensée » peut être consommée sans trop de réflexion.  Il est évident que tout ceci renforce un climat d'insécurité éthique, alors que la sécurité économique n'est absolument plus garantie.  Le discours populiste y trouve un vivier tout intéressant pour noyer l’esprit critique.

Par le passé déjà, avec la progression du SIDA, l'image de la science devient encore plus floue. Les théories sont moins globales, moins univalentes. Nous sommes en présence d'un savoir de plus en plus fragmenté conduisant à l'émiettement de la représentation du monde. Le savant fou ne parvient plus à contrôler l'homme machiné.  Des interrogations se font jour face à la sociobiologie et aux manipulations génétiques. Il est évident que tout ceci renforce un climat d'insécurité éthique, alors que la sécurité économique n'est absolument plus garantie.  Aujourd’hui avec la progression de la pandémie ce mouvement se renforce.

L’intériorisation de la répression se précise ainsi, afin de canaliser et contenir le malaise social et les tendances contestatrices qui se manifestent contre l’appauvrissement, contre la dépossession et l’intériorisation de la répression afin d’étouffer la contestation sociale.

Est-ce que ce discours idéologique sera suffisant pour canaliser le mouvement social ?

Je trouve évidemment qu’il faut affirmer que ces mouvements aux EU sont à replacer dans le bouillonnement social et le questionnement de fond à l’œuvre depuis plusieurs années à travers le monde.  En effet, La révolte noire, tout d’abord contre l’esclavage, puis son prolongement et son extension, se situe à la racine de tout ce que peuvent accomplir les prolétaires ou la classe ouvrière aux États-Unis. Elle s’inscrit dans une remise en cause, parfois violente, des normes sociétales.  Elle interpelle également le statut sacré de la propriété privée.  Et elle s’accompagne, à chaque fois de tentatives d’auto organisation dépassant les traditionnels cortèges de revendications de gauche. 

À discuter.

FD

 

 

[1] CARUSO, I. (1977).  La psychanalyse contre la société ?  Paris.  PUF (Perspectives critiques).

[2] Freud, S. (1998) ; Le malaise dans la culture ; Paris ; PUF – Quadrige

 

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