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Pour les groupes se référant au cadre théorique de la Gauche Communiste Internationaliste, il est clair que le parlementarisme et la démocratie font partie intégrante des structures de gestion et de contrôle de la classe dominante.  Néanmoins, on a vu apparaître, dans une série de mouvements de protestations récents, la revendication de la démocratie directe avec l’illusion de peser sur les décisions prises par les soi-disant représentants des électeurs.  Il est donc important de reprendre les choses à leur origine et de voir comment Marx et Engels ont abordé cette question.  Il est fondamental de replacer leurs positions dans le cadre historique qui les a vu naître.

Lorsqu’on examine leurs prises de position, celles-ci peuvent paraître ambiguës.  En effet, Marx et Engels   ont  défendu la nécessaire présence des Partis ouvriers au parlement  tout en dénonçant ce dernier comme outil de mystification du prolétariat.  Et l’appel à la participation parlementaire semblait correspondre à une tactique plus qu’à une conviction théorique.  En effet, il semble refléter  plusieurs conceptions :

  • Une vision gradualiste du processus menant le prolétariat au développement de sa conscience politique et à l’action de prise de pouvoir ;
  • Le niveau insuffisant de développement de ce jeune prolétariat comme classe et dans sa conscience politique ;
  • L’affirmation des Partis ouvriers comme représentants d’une classe définie dans leur confrontation avec les partis de la classe dominante ;
  • Un mouvement d’unification et d’homogénéisation des divers prolétariats nationaux vers la constitution d’une classe internationale.

Mais, en-dehors de ces critères particuliers à l’époque historique dans laquelle ils ont été formulés, Marx et Engels  dénoncent le parlementarisme comme la mystification de la classe dominante.  Et c’est là un premier paradoxe sur lequel nous pouvons nous arrêter.  Comment et où s’affirme la conscience de classe ?  Le parlement, même dans la période de 1848, 1870, est-il le seul terrain sur lequel le prolétariat peut exercer et faire entendre sa voix ?  Et faut-il nécessairement se laisser enfermer dans la prison idéologique de la classe dominante pour saisir le caractère profondément antagonique des classes et définir une identité propre ?  

L’hypothèse que je formule est que la praxis du prolétariat, dans ce qu’elle a de collectif et de vivant est le terrain de confrontation permettant que des perspectives distinctes émergent.  Et le terrain de cette praxis est celui des mouvements d’opposition, de luttes, de grèves…

Dans leur vision gradualiste (qu’on retrouvera aussi chez Lénine), Marx et Engels  défendent la nécessaire « révolution permanente ».  Ils écrivent : « La révolution permanente  implique l’idée que la sphère politique obéit à des lois spécifiques et n’est pas un pur reflet passif de la production (…).  Cependant, la politique serait vaine si elle n’avait pas une action en retour, spécifique sur le devenir économique et social.  En général, la révolution permanente est donc déterminée – en dernière instance, mais fondamentalement – par les conditions économiques : elle n’a de sens que si l’économie est encore précapitaliste de sorte que les classes successives (bourgeoisie et petite bourgeoisie paysanne et urbaine) peuvent encore avoir un rôle politique et social à jouer dans la société avant la domination du prolétariat.  C’est dire que l’économie sociale implique des stades politiques successifs conduisant finalement à la prise du pouvoir par les ouvriers ». [1]

L’immaturité du prolétariat, sa faiblesse numérique – surtout en France et moins en Angleterre et en Allemagne – les amène à privilégier la constitution d’une identité de classe, rassemblée autour et dans le Parti ouvrier puisque, pour Marx et Engels, il y a identité entre classe et parti. « Pour qu’au jour de la décision le prolétariat soit assez fort pour VAINCRE, il est nécessaire qu’il se constitue en un parti autonome, un parti de classe conscient, séparé de tous les autres. »[2]  Et la participation de ce Parti à la vie parlementaire permet, d’après Marx et Engels, une première manifestation du combat de classes au travers des affrontements entre les partis qui représentent directement leur classe.

 Voici leur position résumée : «L’histoire des luttes de classes en France met particulièrement en évidence la fonction (mystificatrice pour le prolétariat) du parlement.   Celui-ci permet, en effet, de distinguer entre les fonctions exécutives (gouvernementales) de l’Etat bourgeois et les fonctions délibératives (législatives).  Le parlement permet au gouvernement, à l’exécutif, d’avoir l’apparence de l’adhésion (directe ou indirecte, selon la majorité) de tous les citoyens.  Le parlement parvient à jouer son rôle mystificateur (nier les classes en prétendant représenter tous les citoyens libres et égaux) en ce qu’il affirme représenter les intérêts généraux de la nation (en fait, les intérêts généraux de la bourgeoisie).  Il finit par brouiller le rôle et la nature même des différents partis qui représentent les multiples classes de la société.  En effet, dans une première phase, lorsque chaque parti représente une classe ou une fraction bien déterminée de celle-ci, la lutte entre partis a encore un sens, qui va d’ailleurs vers l’évincement de tous ceux qui ne sont pas bourgeois.  Dans la seconde phase, où les partis s’adressent tous à l’ensemble des citoyens, les partis peuvent gouverner tour à tour, voire se combiner et collaborer ; bref, ce ne sont plus les classes qui s’y affrontent (si l’on peut dire), c’est la majorité qui commande ».[3] Voilà qui est énoncé on ne peut plus clairement…

La question à se poser, au vu de ce qui précède, est : pourquoi pousser une classe prolétarienne – de plus, jugée immature et encore mal constituée en classe – sur un terrain où l’idéologie domine ?

Il nous semble plus pertinent de dénoncer clairement le parlementarisme et la démocratie comme outils de la classe dominante plutôt que de pousser le prolétariat à participer « dans un premier temps » à un faux combat, avec l’illusion qu’il est un combat de classe. Comme nous l’avons déjà affirmé, le combat du prolétariat se mène sur le terrain qui est le sien : sur les lieux de production, dans la rue, bref, partout où s’affirme son action collective.  Parce que c’est d’elle que peuvent progressivement émerger des leçons et perspectives de classe.

 

                                                                                              Lejardinier

 

 

 

[1] K. Marx F. Engels « Le mouvement ouvrier français – Tome I p. 26

[2] Marx Engels « La Commune de 1871 » Ed. 10/18 p. 14-15

[3] Marx Engels « Le mouvement ouvrier français » Tome I p. 25

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