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La période s’ouvre à des changements importants : Mai 68 illustre le prélude de la Postmodernité, d’une part, et l’on se confronte, à ce que Steiner[1] appelle la « perte du mot ».

Comprendre Mai 68

Mai 68 représentait un moment dans la dynamique se situant entre le développement économique de l’après-guerre et la crise des années 70.

Et si le changement constitue un moteur du fonctionnement socio-économique global, très peu, parmi nous, l’ont compris et, en tout cas, en ont saisi la cohérence et les implications. C’est l’élément fondamental qui explique ce que nous avons appelé la « crise du milieu révolutionnaire » et qui fait qu’aujourd’hui tant de façons différentes de comprendre le monde et de définir le sujet révolutionnaire, voire de le nier, coexistent.

Les luttes de mai 68 marquaient le retour de l’action collective de la classe ouvrière. Beaucoup d’illusions les accompagnaient et les cinquante années qui ont suivi ont été marquées par une série de défaites et de désillusions pour le prolétariat.  Les périodes de doute et de découragement quant à la possibilité de changements ont donné lieu à des moments de pause et de silence dans l’affirmation de la classe ouvrière. 

Bien sûr, ces luttes étaient une avancée par rapport à l’idéologie structuraliste qui régnait en maître et qui théorisait la fin du prolétariat, la faillite du marxisme, et ouvraient au gauchisme et « Hippie-isme » des années 70. 

Ces luttes rappelaient à bon escient que le sujet révolutionnaire n’était pas mort.

Mais, peut-on affirmer que progressivement, le questionnement ouvert en mai 68 a repris son cheminement de façon cette fois beaucoup plus profonde et globale ?  Peut-on continuer à affirmer que cela a abouti à une lutte de classe  étendue aujourd’hui à la plupart des zones géographiques mondiales et aux revendications parfois très diffuses.

Par contre le phénomène de mondialisation et la fragmentation et la circulation de la main-d’œuvre qu’entraîne cette mondialisation ont été d’abord un élément négatif pour le prolétariat, bien que la mondialisation contienne aussi une dynamique d’unification.

Le prolétariat de l’après 68 n’est plus la classe ouvrière en col bleu des années 60. Ne pas saisir les transformations profondes qui ont modifié le visage, la dynamique et les formes de luttes du prolétariat d’aujourd’hui revient à ne plus comprendre la lutte de classes. La classe ouvrière était autrefois reconnaissable : concentrée dans de grandes usines organisées sur un mode fordiste.  Progressivement, l’introduction de l’automatisation puis des technologies virtuelles ont profondément modifié le visage du prolétariat mais, surtout, ce visage s’est fragmenté pour correspondre au degré de complexification des formes de travail. Ainsi, progressivement, le prolétariat s’est développé selon  trois formes différentes :

  • les pays émergents comme la Chine et l’Inde produisent encore dans de grandes concentrations ouvrières de type « fordiste et keynésienne » ;
  • une deuxième catégorie de prolétaires est constituée par les exclus qui peuplent de plus en plus les banlieues et les bidonvilles où d’ailleurs sont organisés de véritables ateliers en lien avec le commerce international, exclus qui n’ont aucun espoir de réintégrer un circuit de travail normal ;
  • la troisième catégorie prolétarienne est celle des pays industrialisés au degré de technologie élevé.

 

Ce qui a aussi profondément changé depuis ces cinquante années est que les formes de résistance à l’exploitation sont très différentes en fonction de la place qu’occupent ces prolétaires et toute la question est de pouvoir réunir, dans une perspective commune, ces formes de luttes parfois très différentes. La lutte de classe aujourd’hui est devenue  l’ensemble de ces formes multiples qui sont prises dans une dynamique globale d’opposition à l’exploitation et aux conditions de vie au sein du capitalisme. Et ceci est une façon totalement différente de comprendre les choses par rapport à la manière dont nous analysions la lutte de classe en 68.

 

Si, en 68,  le monde était divisé en zones où on ne se posait pas la question du chômage, nettement différenciées des zones pauvres, la mondialisation et la généralisation de la crise économique profonde font désormais ressentir les choses de façon très différente. Avant existait l’illusion pour les pays pauvres  qu’on était bien mieux ailleurs et pour les pays riches qu’on était si bien chez soi… Aujourd’hui, les famines, guerres et conditions de vie extrêmes de zones entières du monde continuent à pousser des masses d’affamés et de désespérés vers des zones où leur vie est peut-être moins directement menacée. Mais, pour ce qui concerne les pays riches, il y a une conscience grandissante que les conditions de vie sont de moins en moins confortables et commencent à se rapprocher, sous certains aspects, de types de fonctionnement constatés dans les pays pauvres

Ces changements économiques et de l’Etat peuvent avoir des répercussions pour la lutte du prolétariat, et nous obligent à interroger le mouvement actuel afin d’apprécier s’il constitue un renforcement ou non de l’appareil de gestion politique de la bourgeoisie.

Qu’est ce qui fait que la réponse d’une alternative semble plus difficile aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés aux horreurs guerrières et autres génocides, aux catastrophes écologiques qui menacent la survie de notre humanité.  L’espoir suscité par Mai 68 semble s’être émoussé. 

 

 

MAI 68

Le petit Livre Rouge de Mao fait son apparition.  La 3ème guerre Israélo-Arabe démarre dans le Sinaï.  Coup d'Etat en Grèce : Dictature des colonels (1967-1973).  Mort du Che en Bolivie.  La France quitte l'Otan.   La guerre du Biafra (1967-1970), guerres en Afrique : au Mozambique, en Angola, en République démocratique du Congo, au Libéria.

La guerre du Viêt Nam se poursuit (1964-1975).  En RFA, les étudiants manifestent.  Tchécoslovaquie : Printemps de Prague (1968) démarre en avril.  Martin Luther King assassiné le 4 avril 1968.  

Mai 68 constitue une manifestation des prémisses de la crise économique.  Les "golden sixties" se terminent.  Le capitalisme se transforme et accentue son mouvement vers une mondialisation économique, illustrée par les débuts de l'informatisation, le début de la liquidation des couches intermédiaires, prélude à la prolétarisation de la petite bourgeoisie, la nécessité de refondre les lieux de formation comme l'université, la mise en place de la CEE, la création de divers espaces économiques contrôlés par les puissances impérialistes de l'époque. 

Et alors que certains théoriciens de la bourgeoisie tentent de démontrer l'intégration de la classe ouvrière (thème idéologique récurrent que les plumitifs au service de la bourgeoisie nous resservent  régulièrement), les travailleurs en France organisent la grève générale d'une ampleur telle, qu'elle surprend nous seulement les syndicats mais également les instances politiques de l'Etat bourgeois, en France.

 

 

[1] Steiner, G. (1969).  Langage et silence ; Paris ; Bibliothèque 10/18

 

 

Après Mai 68 

Cette période se caractérise par d'importantes mutations technologiques sur le plan du procès de travail.

Depuis Mai 68, on assiste à une nouvelle réaction dans un contexte de crise économique. Plus que jamais, le capital variable est devenu la partie restreinte du procès de production, alors que la concurrence s'accentue de plus en plus férocement entre capitalistes. Le marché est intégré d'une manière globale à l'échelle internationale.

La société technologique, cybernétique a tendance à faire de nous des appendices de la machine, réprime nos besoins d’être vivants, d'être actifs, de créer, d'aimer; elle empêche les hommes de communiquer entre eux, d'être solidaires.  Le processus techno-industriel a instauré la division généralisée, sociale et technique, du travail, nécessitant toutefois l'installation d'un nouvel espace pour permettre l'exploitation : l’atelier informatisé virtuel. 

 

Le changement 

 

Dans les années 1970, dans Le capitalisme mondial[1], Michalet recommande de substituer le paradigme de l’économie mondiale à celui de l’économie internationale.  Il met en avant le rôle des firmes multinationales et leur essor depuis les années 1950. 

Elle favorise, grâce aux nouveaux outils informatiques, l’expression d’agents jusqu’alors handicapés par la faiblesse de leurs moyens : les régions et les divers individualismes propres à la « postmodernité ».  Alors que l’internationalisation prenait appui sur les Etats-nations, la mondialisation des moyens technologiques, en mobilisant d’autres acteurs, échappe à leur maîtrise.  A l’encontre de l’internationalisation, la mondialisation suppose, au contraire, un foisonnement d’échanges, un réseau de globalismes localisés et de localismes globalisés.  La rupture des frontières nationales renforce d’abord l’effet de fragmentation.  Avec l’explosion des flux inhérents à la mondialisation et la porosité des frontières qui en résulte, la coïncidence du droit et de la souveraineté ne va plus de soi.  Un nouveau droit international apparaît également, droit contractuel produit par des acteurs transnationaux comme les cabinets d’arbitrage commercial, droit qui tire sa pertinence de son adaptabilité au marché.

 

 

Caillé parle d’un « mégacapitalisme parfaitement insensible aux attaques effectuées sur une base seulement nationale.[2] » D’autres auteurs, comme Latouche, mettent en avant l’idée d’un marché devenu planétaire sous l’emprise d’une mégamachine liée à la technostructure.  Dans L’économie mondialisée[3], consacrée au capitalisme du XXIème siècle, Reich considère que l’extension de la sphère marchande à l’échelle de la planète remet en question le concept d’économie nationale et rend obsolètes les particularismes nationaux du capitalisme. 

Quant à l’avenir,

Michel Beaud, dans son Histoire du capitalisme, écrit : «nous pensons que le capitalisme est plus puissant et plus vivace que jamais ; ce qui s’inaugure, c’est un nouvel âge du capitalisme, caractérisé par la mobilisation croissante de la technoscience par les firmes pour l’innovation, la création de nouveaux produits et de nouveaux procédés et la lutte permanente, dans la compétition, pour recréer des situations monopolitistiques[4].  »

 

la mondialisation

Ce qui caractérise le capitalisme par rapport aux autres modes de production historiques est le fait qu’il s’agit d’un rapport social global gouverné par la loi de la valeur.  Contrairement aux autres modes de production où coexistaient des sphères différentes : idéologique, rapport à la nature,  sociale, économique… dont certaines conservaient une certaine autonomie par rapport à d’autres, le capitalisme a progressivement imbriqué toutes les zones d’activités, de pensée et de structure sociale les unes dans les autres. 

Au départ du mouvement naturel d’expansion du capital, la mondialisation est marquée par une interdépendance sans précédent des capitaux, des entreprises et du commerce au niveau mondial.  Elle s’inscrit donc dans la continuité du développement du système mais constitue également un saut qualitatif, donc une transformation profonde dans l’organisation économico-politico-sociale qu’elle implique.  Une évolution du marché mondial s’opère actuellement.  L’apparition d’un réseau informatisé, sans frontière, sans barrière, ou presque a provoqué des modifications économiques importantes, et  a impliqué des transformations manifestes de l’État capitaliste, ou du moins son acclimatation. 

En outre, la mondialisation permet  de contenir les contradictions de plus en plus profondes du système économique, en facilitant la circulation rapide du flux des capitaux et en accroissant considérablement la souplesse des structures économiques, les rendant ainsi plus aptes à s’adapter de manière immédiate aux exigences de l’économie et de la concurrence.  Si la mondialisation n’apporte pas de solution de fond aux contradictions inhérentes au système capitaliste, elle est un aspect positif du fonctionnement actuel, pour les pays développés qui en tirent profit, et de façon temporaire.

La mondialisation implique donc une dynamique interne de développement, développement qui, à son tour, va entraîner de nouveaux progrès.  Ainsi, la mondialisation s’est dotée de nouveaux outils : les « nouvelles technologies » qui ont profondément transformé la manière dont la production, la communication et le travail individuel étaient organisés, remodelant même la sphère privée via l’entrée, dans les maisons, du « personnel computer » et de toutes ses applications techniques.  Tous les aspects de la production et de la distribution ne se cantonnent plus à l’usine - lieu de concentration de travailleurs organisée selon un modèle fordiste rattachée à un secteur défini, mais elles sont difractées sur un ensemble de pays, dissociées dans leurs fonctions d’innovation, de production et de commercialisation, ces dernières étant confiées à des structures de services éphémères qui se créent et se dissolvent en fonction des besoins immédiats de la production et de la vente, de plus en  plus « virtuelles » et  de moins en moins liées à  la production concrète d’une marchandise, à l’image de l’indépendance croissante des circuits financiers vis-à-vis de leurs pendants industriels. 

Ce besoin de dévalorisation  se traduit par exemple   par la destruction de surplus alimentaires, par des destructions massives opérées par les guerres mais aussi par l’exclusion des « surplus » de travailleurs avec une chronification du chômage et de la précarité du travail.

Le fait même de pouvoir produire plus avec moins de travail humain est déjà, en soi, une destruction formidable de la valeur ; et sans qu’il y ait eu destruction physique de quoi que ce soit.  Et tout ceci est encore la description « soft » des conditions régnant dans les pays les plus industrialisés parce que dans les zones pauvres du globe, non seulement les populations sont soumises à la pression que je viens de décrire en partant d’une situation de concurrence inégale mais, de plus, connaissent le contexte de pauvreté absolue que la crise économique mondiale fait peser sur les régions défavorisées, avec son cortège de famines, de développement de maladies et d’augmentation de tensions sociales. La surproduction n’implique donc pas une abondance de biens qui profiteraient à l’ensemble de l’humanité. .  Par exemple, dans ce monde où l’accroissement de la productivité des pays développés permettrait de nourrir les populations défavorisées de la planète, un enfant meurt toutes les trois secondes de malnutrition.

 

Il n’y a plus de sphère privée – et la « télé réalité » nous en donne un exemple.  Le système d’exploitation économique est le rapport social global et c’est en cela qu’il ne peut y avoir d’activité autonome « en-dehors » du système et de la loi de la valeur : pour échapper à la loi de la valeur et développer d’autres rapports humains, c’est donc bien l’ensemble de ce système totalement conçu au travers de cette loi de la valeur qu’il faut détruire. 

 

De plus, malgré le développement de la technique et des forces productives qu’a entraîné l’extension du MPC, l’exploitation des masses laborieuses n’a jamais cessé et, pour se maintenir en vie et poursuivre son développement, le système capitaliste a à faire face à des contradictions internes croissantes.

 

Par exemple, une première contradiction fondamentale apparaît avec ce recours massif à la technologie : cela crée une tension croissante puis la contradiction entre la valeur d’usage et la valeur d’échange qui ne croissent plus de manière harmonieuse. 

 

Si  la mondialisation redéfinit de façon profonde l’organisation de la production et les contours du marché, elle n’est pas sans impact sur les structures politiques et sur leurs relations.  Ainsi, la nation a toujours servi de cadre  à la délimitation d’un espace économique, géré par les lois et l’intervention plus ou moins importante et directe de l’Etat.  La mondialisation dessine une autre géographie économique qui implique des échanges, non plus internationaux mais transnationaux. 

Cette évolution doit être comprise comme changement historique au sein du mode de production.  Il est évident que le métier à tisser ou un ordinateur, sont des forces productives capables de produire de la valeur, mais de telles forces matérielles sont toujours inventées, développées et déployées dans le contexte de rapports sociaux de production particuliers et ont produit des changements importants, tant sur l’évolution économique elle-même que sur la gestion étatique. 

Les transformations actuelles de la société, exacerbent encore cette tendance et ne sont pas sans avoir de répercussions sur la vie quotidienne, sur les valeurs défendues par la société elle-même, sur la représentativité des institutions de la bourgeoisie : la postmodernité.

 

[1] C. A. Michalet, Le capitalisme mondial, PUF, Paris, 1976.

[2] Alain Caillé, Comment peut-on être anticapitaliste ?, Revue du Mauss, 1977.

[3] R. Reich, L’économie mondialisée, Dunod, Paris, 1993.

[4] Michel Beaud, Histoire du capitalisme, Point Seuil, Paris, 1999.

 

Tag(s) : #Luttes
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